Christian NICAISE. Olivier Debré, les livres illustrés
Rouen, L’Instant perpétuel, août 2010.
32 pages, 21 x 15 cm, broché.
ISBN 2-915848-12-2
Edition originale.
Exemplaires courants : 45 euros
Bibliographie très détaillée des livres illustrés par Olivier Debré, le maître de l'abstraction fervente,
ce livre s'adresse à tous les amateurs de littérature et d'art contemporain, ainsi bien sûr qu'aux bibliophiles.
Avant-propos de Christian Nicaise : Olivier Debré, les livres et la ferveur.
À un moment donné, quelque chose se fige dans la matière même, et c'est la réalité de l'émotion, et c'en
est fait de moi — moi qui ne suis vivant qu'autant que cette émotion est en moi... Il y a une espèce d'imbrication entre une atmosphère mentale et une atmosphère réelle, et à partir
de là je suis ce que je vois, puis la vue se renverse en moi... On est toujours en soi et hors de soi. Comme une vapeur. La rencontre d'une forme crée ma propre forme. Je peins dans
l'émotion d'une réalité qui m'engendre moi-même...
Olivier Debré
Je me défends d'être un paysagiste. Je traduis l'émotion qui est en moi devant le paysage... Ce n'est pas ma volonté qui intervient, mais l'émotion
qui me domine. Je ne suis sincère que dans le choc, l'élan.
Olivier Debré
Peindre comme le fait Olivier Debré, c'est fixer une relation dans l'instant même où l'émotion l'imprime dans l'espace intérieur, et c'est exprimer
conjointement l'espace ému et la trace qui émeut.
Bernard Noël
Point d'intermédiaire entre ce peintre et la nature, entre la nature et l'univers, entre l'univers et lui-même, mais
une réciprocité de paroles dont les prolongements ne sont que dénonciations et rejets des limites.
Edmond Jabès
Olivier Debré, les livres et la ferveur
“On est toujours en soi et hors de soi.”
Cette évidence rappelée par Olivier Debré, même si elle concerne le mécanisme de l'émotion, peut éclairer le double mouvement qui toujours porta
le peintre de l’ abstraction fervente à peindre sur le motif, activité de plein air, au contact de la nature, en communion avec l’univers, et à illustrer des écrivains parmi
les plus importants de son temps : Francis Ponge, Pierre Torreilles, James Sacré, Jean-Clarence Lambert, Bernard Noël, Edmond Jabès, Michel Butor, Paul Valéry, Guillevic, Julien
Gracq, Michel Déon et quelques autres.
“Je me défends d’être un paysagiste. Je traduis l’émotion qui est en moi devant un paysage... Ce n’est pas ma volonté qui intervient, mais l’émotion qui
me domine. Je ne suis sincère que dans le choc, l’élan.” — “Je peins dans l’émotion d’une réalité qui m’engendre moi-même.” explique-t-il.
En fait, si Debré — peintre abstrait — va peindre sur le motif, alors qu’il n’est précisément pas dans la figuration — la chose pourrait paraître
absurde — c’est qu’il va sans cesse au-devant de cette nature qui va provoquer les émotions qu'il peint. On comprend ces échanges — car c’est bien d’échanges qu’il s’agit —
entre le peintre et le monde, dans un espace dont les limites sont incessamment remises en causes : “Point d’intermédiaire entre ce peintre et la nature (...) mais une réciprocité de
paroles dont les prolongements ne sont que dénonciations et rejets des limites.” écrit Edmond Jabès.
Dans le cas des livres illustrés, il est probable que pour le peintre le texte remplace le motif.
Qu’il s’agisse d’interventions ponctuelles (un frontispice, comme dans Regard dedans de Claude Margat, éventuellement accompagné d’une planche
intérieure, comme dans Pour les simples de Franck-André Jamme), de gravures destinées à un numéro de revue ou à un catalogue d’exposition, d’une participation à des ouvrages
collectifs comme El Tretze Vents (1983), ou de travaux d’envergure et de longue haleine accompagnant les écrits d’amis écrivains, Bernard Noël, Jean-Clarence Lambert, Edmond
Jabès, Michel Butor, etc. — plus besoin de sortir, Olivier Debré grave, ou dessine sur la pierre lithographique son émotion devant un texte. Le texte est désormais source de
l’émotion. Générant des livres auxquels le peintre impose son rythme, comme avec cette eau-forte non encrée, dans Pratique de la poésie de Pierre Torreilles, que l’on perçoit
comme un silence en musique ; ou plus encore, des livres dans la conception desquels Olivier Debré s’implique pleinement. C’est le cas de Mu-Tei de Jean-Clarence Lambert,
avec son ingénieux système de feuillets qui, se dépliant tantôt verticalement tantôt horizontalement, “soumettent la lecture à des variations rythmiques” (Emmanuel
Pernoud).
Deux espaces donc : celui du dehors et celui du dedans.
L’activité de plein air — la peinture abstraite dans la ferveur du motif —, et l’activité d’intérieur — créer un rythme pour le livre, dans la ferveur
du texte.
Dans les deux cas, pour paraphraser Edmond Jabès, une “réciprocité de paroles” s’établit entre l’espace intérieur d’Olivier Debré et ce qui l’émeut, le
meut, et l’engendre — à la recherche de rythmes capables de repousser les limites de ces différents espaces.
Christian Nicaise