Pignol : Le chant sacré de Gaïa
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Vénus XI - Bronze - 1999 -Paul de Pignol
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« Je suis seul, semble dire l’objet, donc pris dans une nécessité contre laquelle vous ne pouvez rien. Si je ne suis ce que je
suis, je suis indestructible. Etant ce que je suis, et sans réserve, ma solitude connaît la vôtre. »
L’atelier d’Alberto Giacometti, Jean Genet (Ed. L’Arbalète)
Gaïa engendre nos solitudes depuis la nuit des temps. De ses entrailles mystérieuses, nous venons au jour soumis à la nuit,
seulement ornée de l'impérieuse absence au précieux rayonnement de l'invisible présence. Tenus par la nostalgie de sa chair –, celle de cette mère indifférente à notre misérable
errance, de son ventre protecteur dont il ne nous reste que la certitude d’en être issus, expulsés dans l'amnésie de sa matrice inaccessible, maintenus dans l’ignorance absolue et révoltante du
sens de nos existences de monstres, – il ne nous reste plus qu’à guetter les signes qui nous rassureraient, ceux que la déesse-mère ne saurait manquer d’adresser à ses enfants, plongés dans
l’obscurité, afin qu’ils s’orientent sur un chemin qui les ramènerait enfin à elle, Gaïa, et trouver en son sein pleine lumière.
Le sculpteur Paul de Pignol l’invoque et la provoque, sans relâche, par la sculpture et le dessin, lui voue un culte inébranlable.
Elle est plus que sa muse, elle est son obsession. Il la nomme Vénus, mère et amante. Il tente de la faire apparaître, de lui offrir corps et âme, chair et parole, cellule par
cellule, goutte de sang par goutte de sang, sous des doigts assurés d’une émouvante obstination, fous de délicatesse amoureuse, parfois tremblants de l’impatience et la puissance du désir.
Seulement, entre les griffes des ténèbres, la femme absolue, la déesse-mère qui jamais ne se dévoile, demeure l'essentielle prisonnière, vouée à la reproduction perpétuelle. De haute lutte,
l’artiste entend bien l’y soustraire ne serait-ce qu'un instant et s’il parvient à tirer de cette profonde nuit d’extraordinaires créatures, comme autant d’ombres tragiques de Gaïa, le
mystère de sa Vénus ne s’en épaissit que davantage et l’obsession décuple.
De fait, ces formes totémiques de bronze, d’une beauté sans visage, terrible et parfois menaçante, extraites du néant, exhibant
une multitude d’excroissances, de courbes et de rondeurs organiquement féminines, toutes figées sur leur base, enracinées dans le ventre de la terre mais résolument dressées vers le ciel, isolées
ou en groupes, toutes imposent la présence surnaturelle, solennelle, inquiétante de la mère originelle.
Elles bruissent, elles chuchotent, certaines crient, d’autres rient ou pleurent, chacune appelle et s’exprime en ce langage
pur et majestueux qui se passe des mots et que nous comprenons, que nous portons ancré dans les tréfonds de l’être. Immanentes à Gaïa, elles sont ses messagères venues adresser à Paul de Pignol,
qui convoque avec fascinante ferveur l’éternel féminin, son hymne de Profundis*.
« Au monticule
Décharges
Tout s’écoule
Tout fuit
Le monticule s’écroule
Décharges au-dedans
Décharges au-dedans
Tout s’écoule
Tout m’échappe
Je m’écroule
Au-dedans mes larmes coulent
Je m’écroule au-dedans
Le flux d’en-dedans
Coule et germe
Je m’écoule et je donne
Au-dedans le germe
Pousse la larme au-dedans
Du germe
Je m’écoule
Le germe
La larme coule au-dedans
Et germe
La bave des germes
Lave les larmes des larves. »
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Lacrima - 2002 - Paul de Pignol
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Par la grâce des Vénus, l’artiste fond dans le bronze le chant sacré de Gaïa, hymne à la vie, louange du chaos de
l’origine, célèbre la fécondation divine, grave, l’union sacrée du ciel et de la terre, essentiel équilibre de l’organisme unique, l’unicité de l’Etre universel.
« Au fil de l’œuvre, la béance utérine de sa matrice enfle, s’élargit, creusant un sillon profond de ses entrailles jusqu’au haut du corps, sillon bordé de lèvres tuméfiées, géantes dans
lesquelles semble s’engouffrer le Vide (Chaos) », entend Fabrice Lebée dans un ouvrage qu’il a consacré à l’œuvre de Paul de Pignol qu’il collectionne avec passion et confronte à
la Vénus de Sandro Botticelli.
« L’homme moderne de Botticelli s’envisageait au centre; Paul de Pignol le remet dans l’axe, écrit-il plus loin, un champ nouveau se libère dans la matière informe des Vénus et déborde
infiniment celui d’une problématique ontologique. Ici, l’essence divine se porte dans l’altérité qui nous prédispose au sens. Et son expression révélée, phénoménologie, est la Vie. »
Attentif aux moindres signes tel un aveugle, le sculpteur poursuit l’exploration de l'étrange voie qui le conduit à Gaïa, y pénètre par la faille sensuelle et vertigineuse ouverte par ses
émissaires à son dessin.
D’une élégante dévotion, le trait habile du maître s’immisce, fouille l’intimité même de leur matière et dévoile encore et toujours cette foison de cercles fondamentaux, parfaite rondeur de
l’enfantement d’un monde, sans cesse renouvelé. Il s’insinue au sein de cette mystérieuse gestation de vie, bouillonnante, vouée aux métamorphoses jusqu’à la mort, ultime nécessité à la
résurrection, inhérente à la conception de l’Un infini.
Le chant sacré de Gaïa trouve sa naturelle délivrance dans cette poignante œuvre de chair.
Zoé Balthus
De Profundis*, Paul de Pignol (Ed. D’En Face)
Vénus ou le Mythe aliéné, Sandro Botticelli – Paul de Pignol, Fabrice Lebée (Ed. D’En Face)